Pau est une ville magnifique, mais froide. Une ville que je n’ai pas aimée. À Pau, j’ai découvert ce que d’aucuns ont appelé la lutte des classes. Nous avions quitté Saumur pour une vie meilleure, plus prospère. Pourtant, c’est à Pau que mon père connut pour la première fois le chômage et fit, conséquence directe, sa première crise cardiaque.
À Pau, ma mère reprit contact avec l’insécurité et la folie que cela pouvait générer en elle. Ma sœur aînée quitta l’école pour travailler et « pour faire sa part ». Je crois que mes parents et mes sœurs connurent l’angoisse pour la deuxième fois de leur existence.
Toutefois, la petite fille égocentrique que j’étais, tout en étant témoin de ce qui se passait, traversa ces quinze mois que dura notre séjour palois avec une grâce quasi aérienne.
Je devins chef de gang! Oui, c’est comme je vous le dis!
J’appris à jouer à la pelote basque à main nue et à toutes sortes de jeux violents et douloureux qui me ravissaient.
J’étais habitée par une mission. Je brûlais d’un feu spécial : j’étais amoureuse!
Il s’appelait Richard. Il avait deux ou trois ans de plus que moi et il m’ignorait totalement. Qu’importe au croyant que Dieu ne le regarde pas! Moi, je regardais Dieu sans ciller des yeux, éblouie, aveuglée, consentante…
À Pau, mon corps a franchi le seuil et m’a transporté de l’enfance à l’adolescence. À Pau, j’ai connu mes premières fêtes sans mes parents, les débuts de l’indépendance, les prémisses délicieuses de la liberté, l’ivresse des défis et du mensonge. J’ai connu encore la dureté des filles de riches qui vous plantent leurs griffes nacrées en plein cœur, vous clouent au pilori sur la place publique des chiottes où jamais aucun adulte ne s’aventure. J’ai connu la haine, la peur mais aussi la rigolade gauloise, totale et débordante. J’ai rencontré l’injustice sous toutes ses formes. À Pau, j’ai vieilli si vite que mon corps n’avait même pas le temps de suivre.
C’est là, à la périphérie de cette ville altière, que j’ai commencé à devenir un être pensant et que je suis passé du rêve et de l’enchantement à la clarté brûlante du réel.
Ça faisait mal partout.
Dans les os, dans les muscles et les nerfs, dans la tête, dans le cœur. Tout était devenu si vaste et si petit. J’étais à l’étroit en tout temps, en tous lieux, tout en éprouvant, dans le même moment, le sentiment affolant d’être une chose microscopique à l’échelle de l’univers.
Mais à Pau, surtout là, j’ai découvert l’absence de Dieu.
Richard ne m’aimait pas.
Et Dieu n’existait pas.
Lorsque je repense à ces quinze mois et à tout ce que j’ai appris en l’espace de si peu de temps, j’éprouve un vertige enivrant.
Et puis, un jour, on m’a dit que nous allions quitter Pau. Que mon père n’arrivant pas à retrouver du travail dans cette ville maudite, nous nous installerions à La Ciotat, où nous avions de la famille et où il y avait du travail, un immense chantier naval qui employait entre 5 et 6 000 employés. Plus jamais nous ne connaîtrions la misère.
Tous les miens se réjouissaient, me semblait-il, tandis que moi seule, je souffrais. Je ne voulais pas quitter Pau. J’aimais ce lieu. J’aimais la terre de mon quartier. Cette terre-là était ma terre sacrée!
À Pau, ma mère reprit contact avec l’insécurité et la folie que cela pouvait générer en elle. Ma sœur aînée quitta l’école pour travailler et « pour faire sa part ». Je crois que mes parents et mes sœurs connurent l’angoisse pour la deuxième fois de leur existence.
Toutefois, la petite fille égocentrique que j’étais, tout en étant témoin de ce qui se passait, traversa ces quinze mois que dura notre séjour palois avec une grâce quasi aérienne.
Je devins chef de gang! Oui, c’est comme je vous le dis!
J’appris à jouer à la pelote basque à main nue et à toutes sortes de jeux violents et douloureux qui me ravissaient.
J’étais habitée par une mission. Je brûlais d’un feu spécial : j’étais amoureuse!
Il s’appelait Richard. Il avait deux ou trois ans de plus que moi et il m’ignorait totalement. Qu’importe au croyant que Dieu ne le regarde pas! Moi, je regardais Dieu sans ciller des yeux, éblouie, aveuglée, consentante…
À Pau, mon corps a franchi le seuil et m’a transporté de l’enfance à l’adolescence. À Pau, j’ai connu mes premières fêtes sans mes parents, les débuts de l’indépendance, les prémisses délicieuses de la liberté, l’ivresse des défis et du mensonge. J’ai connu encore la dureté des filles de riches qui vous plantent leurs griffes nacrées en plein cœur, vous clouent au pilori sur la place publique des chiottes où jamais aucun adulte ne s’aventure. J’ai connu la haine, la peur mais aussi la rigolade gauloise, totale et débordante. J’ai rencontré l’injustice sous toutes ses formes. À Pau, j’ai vieilli si vite que mon corps n’avait même pas le temps de suivre.
C’est là, à la périphérie de cette ville altière, que j’ai commencé à devenir un être pensant et que je suis passé du rêve et de l’enchantement à la clarté brûlante du réel.
Ça faisait mal partout.
Dans les os, dans les muscles et les nerfs, dans la tête, dans le cœur. Tout était devenu si vaste et si petit. J’étais à l’étroit en tout temps, en tous lieux, tout en éprouvant, dans le même moment, le sentiment affolant d’être une chose microscopique à l’échelle de l’univers.
Mais à Pau, surtout là, j’ai découvert l’absence de Dieu.
Richard ne m’aimait pas.
Et Dieu n’existait pas.
Lorsque je repense à ces quinze mois et à tout ce que j’ai appris en l’espace de si peu de temps, j’éprouve un vertige enivrant.
Et puis, un jour, on m’a dit que nous allions quitter Pau. Que mon père n’arrivant pas à retrouver du travail dans cette ville maudite, nous nous installerions à La Ciotat, où nous avions de la famille et où il y avait du travail, un immense chantier naval qui employait entre 5 et 6 000 employés. Plus jamais nous ne connaîtrions la misère.
Tous les miens se réjouissaient, me semblait-il, tandis que moi seule, je souffrais. Je ne voulais pas quitter Pau. J’aimais ce lieu. J’aimais la terre de mon quartier. Cette terre-là était ma terre sacrée!
Ce quartier que j’aimais tant s’appelle Ousse-des-bois. C’était le lieu de pacage des prolos palois. Je pense que ça n’a pas changé. Au moment où j’y étais, la ville avait fait construire une école en préfabriqué. Le but était clair et avoué : il fallait nous sortir des écoles où les enfants bien nés avaient le droit d’étudier en toute sérénité, loin de l’influence néfaste que nous pouvions avoir sur eux. Dès le moment où ses « enfants bien nés » comprirent pour quelle raison une école se construisait à toute vitesse pour nous, ils comprirent aussi qu’ils nous étaient supérieurs, que nous étions une sale engeance, indésirable qui plus est, et qu’ils avaient carte blanche. L’épisode des chiottes que j’évoquais plus haut se situe à cette époque précise.
Ce rejet renforça notre sentiment d'appartenance au quartier où nous grandissions en toute lucidité.
Je me souviens du dernier jour.
Avec ma meilleure amie et les gars de ma bande, nous avons fait le tour du quartier. Lentement. Longuement. Je n’ai pas pleuré devant eux. Ma position sociale me l’interdisait. Souvent, je m’arrêtais et je ramassais un peu de terre que je glissais dans un petit sac. À la fin de cette lente et longue promenade, Richard m’a demandé que je lui donne une photo de moi, en maillot de bain si possible, a-t-il rajouté avec timidité. J’ai glissé ses paroles dans le petit sac de terre.
C’est fou ce que quelques mots peuvent provoquer comme réactions en chaîne dans le corps d’une petite fille qui n’en est plus tout à fait une. Est-ce que ce sont les mots qui nous font pousser les seins? Je me le suis souvent demandé.
Lorsque je suis arrivée à La Ciotat, je n’étais plus la même. J’allais avoir treize ans. De la fillette de Saumur, il ne restait plus grand-chose. À la chef de bande, il manquait la bande. Je n’étais plus rien que je connaisse, plus rien qui ait une identité. J’étais une chenille que l’on avait expulsée de son cocon avant que la métamorphose ait eu le temps de s’accomplir. Cela prendrait des années, que dis-je, des siècles, avant que mon être prenne enfin la forme qui se devait d’être la sienne.
Cet adieu précis, dans l’abondance de tous mes adieux, est celui dont j’ai eu le plus conscience. Or, avoir la conscience de quitter pour toujours (car il n’y aurait pas de retour!) est une abomination douloureuse. Ce que ma famille avait vécu en 1962, je l’ai vécu quelque huit ans plus tard, mais ce n’est qu’aujourd’hui, en écrivant ces mots, que je le réalise.
Ce rejet renforça notre sentiment d'appartenance au quartier où nous grandissions en toute lucidité.
Je me souviens du dernier jour.
Avec ma meilleure amie et les gars de ma bande, nous avons fait le tour du quartier. Lentement. Longuement. Je n’ai pas pleuré devant eux. Ma position sociale me l’interdisait. Souvent, je m’arrêtais et je ramassais un peu de terre que je glissais dans un petit sac. À la fin de cette lente et longue promenade, Richard m’a demandé que je lui donne une photo de moi, en maillot de bain si possible, a-t-il rajouté avec timidité. J’ai glissé ses paroles dans le petit sac de terre.
C’est fou ce que quelques mots peuvent provoquer comme réactions en chaîne dans le corps d’une petite fille qui n’en est plus tout à fait une. Est-ce que ce sont les mots qui nous font pousser les seins? Je me le suis souvent demandé.
Lorsque je suis arrivée à La Ciotat, je n’étais plus la même. J’allais avoir treize ans. De la fillette de Saumur, il ne restait plus grand-chose. À la chef de bande, il manquait la bande. Je n’étais plus rien que je connaisse, plus rien qui ait une identité. J’étais une chenille que l’on avait expulsée de son cocon avant que la métamorphose ait eu le temps de s’accomplir. Cela prendrait des années, que dis-je, des siècles, avant que mon être prenne enfin la forme qui se devait d’être la sienne.
Cet adieu précis, dans l’abondance de tous mes adieux, est celui dont j’ai eu le plus conscience. Or, avoir la conscience de quitter pour toujours (car il n’y aurait pas de retour!) est une abomination douloureuse. Ce que ma famille avait vécu en 1962, je l’ai vécu quelque huit ans plus tard, mais ce n’est qu’aujourd’hui, en écrivant ces mots, que je le réalise.
Il semblerait que rien n'ait changé et que ce qui fut initié au début des années 70 ait fini par porter les fruits pourris qui ne pouvaient faire autrement qu'advenir. On a programmé les gamins d'Ousse-des-bois en les traitant comme on l'a fait. Suivez le lien si le coeur vous en dit.
Voici un autre son de cloche, un article sur Ousse-des-bois
Créer des liens pour marier les différences
La cité de l'Ousse-des-Bois, au cœur du quartier palois du Hameau, est l'une des plus défavorisée d'Aquitaine. Elle est la seule à avoir connu des " violences urbaines " : le poste de police, puis la MJC, ont été incendiés, comme parfois des voitures. " Ces actes sont le fait d'une vingtaine d'individus qui perturbent la vie des deux mille habitants de la cité ", indique cependant Pierre Grenet, chargé de la sécurité et de la tranquillité publique au sein du groupement qui met en œuvre le contrat de ville. A Pau, le courage, la détermination et la volonté sont tenaces pour sortir le Hameau de ses difficultés ; des efforts considérables sont accomplis en direction de ces quartiers.Le programme Mobil'Aide, par exemple, de l'association " Vivre ma Ville ", soutenue par la Région, permet de louer à très bas prix des vélos, des vélomoteurs et des voitures à des personnes en difficulté qui ne pourraient se déplacer autrement pour travailler ou chercher un emploi. Là encore, la fin des contrats emplois-jeunes dont bénéficient deux employés de l'association pose problème. " Le monde associatif est de plus en plus mal traité ", confie André Da Rocha, Président du réseau Maison pour tous. Sa structure Cap-Solidaire, sur le quartier, accueille les habitants autour d'un café ou d'un repas, créant des liens là où les différences culturelles étaient source de conflits de voisinage. C'est la même philosophie qui guide le travail de la MJC Berlioz. Confrontée à des problèmes de drogue et de délinquance, il y a quinze ans, elle est aujourd'hui une structure de référence en matière de sports de montagne, comme en matière d'action culturelle. Sous le même toit que la MJC, on trouve le pôle emploi regroupant toutes les structures oeuvrant au rapprochement entre chômeurs et entreprises. Car le quartier possède un bon niveau d'équipements publics et commerciaux. L'ambition des responsables locaux est de voir se poursuivre la rénovation de ce quartier.
